
Carbonapp engagé sur tous les fronts de la décarbonation.
19 nov. 2024
Temps de lecture : 10 min
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Avec plus de 350 projets initiés, Carbonapp veut peser sur le marché effervescent de la contribution carbone volontaire. Générer des impacts tangibles vers la décarbonation, un objectif stratégique ancré dans la raison d’être de la jeune entreprise, Société à mission depuis octobre 2024.

Rencontre avec Nicolas Ferrière, cofondateur et Directeur des Opérations de Carbonapp.
Les sujets liés à la certification des crédits carbone ont été au cœur des discussions de la COP29 à Bakou. Les polémiques liés au manque de transparence et à leur gestion contestée ont-elles atteint le marché français ?
Les polémiques concernant certains standards (note : il s'agit des révélations du journal The Guardian en janvier 2023 sur les "crédits fantôme" de VERRA. Plus de détails dans le Rapport sur les aspects règlementaires des crédits carbone volontaires de l'HCJP à consulter ici) ont porté sur des crédits carbone relatifs à des émissions évitées dont le volume se révèle toujours délicat à évaluer puisque de facto elles n'existent pas. En effet, ces polémiques ont porté préjudice à toute la chaîne de valeur de la compensation carbone, avec des répercussions en chaîne sur l’ensemble de la filière. Suite à des manquements caractérisés, les exigences de contrôle et d’audit ont été renforcés à tous les niveaux, en particulier pour l’ingénierie de vérification, de certification et d’accréditation des projets.
Ces polémiques ont éclaboussé par ricochet l'ensemble des secteurs du crédit carbone.
Au bout du compte, la valeur du crédit carbone se trouve grignotée par toutes ces couches de contrôle. N’oublions pas que les coûts de structure augmentent toujours au détriment du budget restant mobilisable sur le terrain, et donc en faveur du climat. Il est primordial de reconnaître que les dispositifs de contribution carbone volontaire sont dans un processus d’amélioration continue, et c'est un aspect positif. Cependant ces polémiques médiatiques, qui portaient sur une typologie précise de projets forestiers, ont éclaboussé par ricochet l'ensemble des secteurs du crédit carbone comme l’agriculture, l’industrie ou l’économie circulaire par exemple.
Quelles sont les spécificités du Label bas-carbone ?
La compensation carbone, c'est un dispositif de transition conçu pour accélérer la décarbonation, c’est-à-dire réduire les émissions globales et augmenter les puits de carbone. Les crédits carbone jouent le rôle d’une monnaie d’échange pour le financement des projets, avec des standards qui viennent réguler et structurer ces marchés.
L'impact positif majeur du label bas-carbone c'est la relocalisation de la compensation carbone sur le territoire français.
Avant la création de ce label franco-français, devenu opérationnel en 2018, la compensation des émissions de gaz à effet de serre en France s’inscrivait le plus souvent dans une dynamique « Nord-Sud » : l'hémisphère Nord compensait dans l'hémisphère Sud. L'impact positif majeur du label bas-carbone c'est la relocalisation de la compensation carbone sur le territoire français.
Les crédits carbone du label bas-carbone sont dits « ex ante », ils sont anticipés. Un projet obtient donc le label bas-carbone sur la base d’un prévisionnel. Au bout de 5 ans, un audit vient comparer le carbone compensé réellement avec le prévisionnel initial. Les solutions fondées sur la nature sont directement corrélées au temps de croissance des végétaux et au stock de carbone dans le compartiment du sol. C’est un délai incompressible qui diffère d’un secteur à l’autre. Dans une forêt, la pousse d’un arbre nous projette sur 30 ans à minima, tandis que dans un projet agricole, les rotations culturales sont plus courtes. En fonction du choix de projet il est donc possible d’avoir un impact plus ou moins court-termisme. A l’inverse, dans le cadre des standards internationaux, les crédits carbone sont dits « ex post », la séquestration carbone et les évitement d’émissions générés par un programme étant constatés lors d’un audit. Dans ce cas, un crédit carbone est émis après avoir été effectivement réalisé. Avec cette logique « ex post », on laisse le temps aux arbres de pousser, et au carbone d’être séquestré !
Le temps long du cycle du carbone, fondé sur la nature, est incompressible.
Dans le cas de transitions de pratiques agricoles, un pas de mesure de 24 mois minimum s’impose avant qu’une amélioration du stock de carbone dans le sol puisse être mesurée. Encore une fois, le temps long du cycle du carbone, fondé sur la nature, est incompressible. Par ailleurs, avec les standards internationaux, les délais pour faire approuver un dossier technique en amont peuvent être très longs et aller jusqu’à 18 ou 24 mois.
Pour les projets d’évitement carbone qui intègrent l’économie circulaire, le cycle peut être raccourci. Effectivement, il ne s’agit pas d’améliorer un stock de carbone biogénique dans le sol ou les arbres, mais de mettre en place des process industriels moins émetteurs permettant l’émergence de filières entières.
Quelle est la place de Carbonapp sur ce marché ? Leader multisectoriel et multistandard en France, nous sommes avant tout des développeurs de projets avec un rôle de maîtrise d'œuvre. Quand un financeur nous missionne pour générer des crédits carbone volontaires, Carbonapp porte la responsabilité de la mise en œuvre des projets. En tant qu’opérateur de projet de compensation carbone, nous sommes le « chef d'orchestre carbone » face à toutes les parties prenantes. Pour les forêts, nous devons assurer le suivi du projet sur le terrain en collaboration avec les propriétaires, qu’ils soient des acteurs publics, - des communes, ou des collectivités -, ou des propriétaires privés.
Depuis sa création, Carbonapp a compensé 550 000 crédits carbone
Depuis sa création en 2020, Carbonapp a développé plus de 350 projets de compensation carbone, représentant 550.000 crédits carbone (Note : cela correspond aux émissions annuelles de 50.000 français environ). Nous prélevons une commission sur la valorisation financière des crédits carbone. La génération des premiers crédits avec le label bas-carbone ne nécessite pas un niveau d’investissements très élevé. À l'international, des coûts plus importants peuvent être engagés, et il nous arrive de facturer un montant forfaitaire pour initier le projet, et couvrir ces coûts initiaux. Carbonapp porte des projets en Espagne, aux USA, au Canada, en France, et nous avons des études en cours sur des projets en Europe de l'Est, et en Afrique. Aujourd'hui, 95% de nos projets sont issus du label bas-carbone; ils représentent 65% des crédits carbone que nous générons en valeur. Le Label bas-carbone rassemble une massification de « petits » projets, à l'inverse des projets internationaux peu nombreux, et très importants en valeur.
Quelles sont les principaux critères de vos clients lorsqu’il s’agit de sélectionner un projet ?
Certains clients cherchent à compenser un volume de carbone, avec une dynamique d'acheteurs où le critère prix l’emporte en priorité. D’autres clients s’intéressent à la localisation, ou à la typologie de projet, pour être aligné avec leur stratégie bas carbone. Enfin, certains clients recherchent des projets qui s'inscrivent dans leur chaîne de valeur. Dans tous les cas, nos clients étudient les co-bénéfices sociaux, environnementaux, économiques que le projet apporte dans sa globalité avant de prendre une décision.
Un projet de compensation carbone doit s’accorder avec les valeurs de l’entreprise, et si possible avec leur métier. Par exemple, une société spécialisée dans le recrutement sera sensible au défi de l’emploi auquel est confronté le monde agricole en France aujourd’hui. Par ailleurs, le choix du standard n’ouvre pas la même typologie de projets.
L’identification de projets en France se révèle-t-elle difficile ?
Il n’y a pas une méthode unique pour identifier les projets. Nous travaillons à partir des méthodologies du label sur des sujets comme « reconditionnement de fibres textiles » ou « transition de pratiques agricole » par exemple, avec des critères d'éligibilité très précis pour les déployer sur le terrain.
Bien sûr le marché du crédit carbone en France n'est pas extensible à l'infini, cependant il est encore très jeune, les premiers projets de compensation n'ayant que 4 années d'existence. Ce marché n’est pas encore mature. Notre activité est directement reliée aux projets sourcés d’une part, et aux financeurs qui décident de nous suivre sur ces projets d’autre part. Nous progressons ainsi projet par projet, marche par marche.
La forêt, reste un gros vecteur de crédits carbone en France. Atteint-on une saturation ?
Il y a clairement une forte traction sur les projets forestiers. Quand on parle de compensation carbone, d'actions pour le climat ou d'actions contre le dérèglement climatique, on pense tout de suite à la forêt. Avec la forêt on séquestre du carbone, autrement dit on retire du carbone de l'atmosphère. Les financeurs sont souvent plus sensibles à la séquestration qu’aux mécanismes d’évitement qui induisent une réduction, voire un arrêt, des émissions. Dans l'imaginaire, et dans la proposition de valeur, la forêt conserve un fort attrait. Il s’agit donc d’une typologie de projet très recherchée.
L'approvisionnement en plants constitue le premier facteur limitant des projets forestiers en France.
Certes, il y a un potentiel important de nouveaux boisement et reboisement en France, cependant nous sommes confrontés à deux facteurs limitants : l’approvisionnement en plants d’une part, et les surfaces disponibles d’autre part. Quand des politiques annoncent qu’un milliard d'arbres doivent être plantés, il ne faut pas oublier que ces derniers doivent d’abord pousser dans des pépinières pendant 12 à 24 mois. En fin de compte, l'approvisionnement en plants constitue le premier facteur limitant des projets forestiers en France. Concernant les surfaces disponibles, un arbitrage doit être fait entre surfaces agricoles et surfaces forestières, avec des approches qui varient selon les territoires. Il y a une double dynamique entre reboisement, - notamment des parcelles incendiées ou qui ont subi les ravages du changement climatique -, et nouveaux boisements. Le label bas-carbone impose des critères d’éligibilité rationnelles, en accord avec le code forestier, les DREAL, et les DRAF, pour éviter la monoculture, et planter des essences locales.
Avec des cycles plus courts, l’agriculture constitue un axe complémentaire qu’il ne faut pas négliger.
Planter des forêts doit aussi permettre de subvenir aux besoins de la filière construction, il ne faut pas négliger cet aspect. Cependant, malgré ces bénéfices indéniables, des projets forestiers ne peuvent pas être créés à l'infini, sans oublier le cycle du carbone très long, de plusieurs dizaines d’années, imposé par la lente rotation sylvicole. Avec des cycles plus courts, l’agriculture constitue un axe complémentaire qu’il ne faut pas négliger. Finalement, si on raisonne d'un point de vue purement climat et Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), nous devons nous engager sur tous les fronts en même temps. Le temps long et le temps court doivent être mêlés.
Préconisez-vous la séquestration du C02, ou l’évitement ?
En réalité séquestration et évitement ne s’opposent pas, ils se rejoignent. Typiquement, les transitions de pratiques agricoles génèrent séquestration et évitement. Ces projets agissent en même temps sur le stockage, et sur la limitation du déstockage de carbone.
En réalité séquestration du carbone et évitement ne s’opposent pas, ils se rejoignent.
Les mécanismes séquestration et évitement sont complémentaires, et nous avons fondamentalement besoin des deux. Ainsi l’économie circulaire, - dans l’industrie IT, textile, ou d’autres industries -, peut générer des volumes d’évitement massifs. Il faut absolument pousser tous les fronts en même temps, sur toutes les filières.
Par quels mécanismes, les crédits carbone stimulent-ils l’économie circulaire ? Les revenus générés par les crédits carbone permettent d’accélérer la décarbonation sur le terrain, au niveau du projet, de façon très concrète. Dans le cas de l’économie circulaire, le reconditionnement des produits nécessite des achats d'infrastructures, de la main d’œuvre, des gens à former, des ingénieurs à payer, des brevets à déposer. La valorisation de crédits carbone vient couvrir une partie de ces coûts. Les crédits carbone permettent d'engager des transformations très concrètes, et vertueuses pour pérenniser de nouvelles filières de décarbonation. Des projets peuvent monter en gamme, en volumétrie et progresser sur le process de production grâce au soutien financier des crédits carbone dans l’économie circulaire.
Intégrer l'ensemble de la chaîne de valeur est crucial pour réussir ce virage serré vers la décarbonation.
Finalement la compensation carbone, s’intègre sur toute la chaîne de valeur d’un projet, dans une logique de travail très collaborative. Le plus souvent les décideurs sur ces sujets compensation carbone sont les responsables RSE qui savent jouer collectif. Intégrer l'ensemble de la chaîne de valeur est crucial pour réussir ce virage serré vers la décarbonation.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées à ce stade de votre développement ?
Les acteurs du label bas-carbone se trouvent dans une situation paradoxale. D’un côté, le secteur forestier présente le niveau de crédit carbone le plus accessible financièrement, avec beaucoup de financeurs pour porter ces projets. A l’inverse, dans le secteur agricole, la transition plus onéreuse génère mécaniquement un cours de la tonne équivalent carbone plus élevé, avec des niveaux 2 à 3 fois plus importants que dans la forêt. Dans ce secteur agricole, un nombre élevé de porteurs de projets potentiels fait face à un manque criant de financeurs. Le signal prix du marché, disparate selon les secteurs, est déterminant. Nous constatons également un faible niveau d’acculturation des financeurs sur l’agriculture.
Nous constatons un faible niveau d’acculturation des financeurs sur l’agriculture.
Des efforts de pédagogie doivent être menés activement sur ce front. Le biochar par exemple, c'est une séquestration de carbone sur plusieurs centaines d'années. Il constitue donc une catégorie de projet très pertinente sur le long terme, avec des co-bénéfices multiples. De facto, le biochar est plus cher car une phase de R&D doit encore être financée. Les financeurs doivent impérativement soutenir aussi ce type de projets avant-gardistes, c'est crucial pour multiplier les sources de décarbonation.
Qu'est-ce qui te donne confiance aujourd'hui dans ta vie d'entrepreneur? Les porteurs de projets avec qui nous travaillons me rendent optimistes. Ils portent des projets très concrets qui font bouger les lignes. Avec le crédit carbone, nous avons un outil de financements à disposition puissant pour mener collectivement des projets de transformation incroyables. Les porteurs de projets nous donnent leur confiance, et les financeurs rendent tout possible. Cet alliage est précieux pour la transformation en cours vers la décarbonation. Nous n'avons pas le droit de décevoir nos partenaires.
Avançons collectivement pour réussir ce pari un peu fou de la décarbonation !
Finalement, s’il y a pu avoir des effets d’aubaine liés aux crédits carbone, ils restent négligeables par rapport aux bénéfices tangibles sur le financement de la stratégie de réduction des émissions, et à l’entraînement collectif. Avançons collectivement pour réussir ce pari un peu fou de la décarbonation !
Créée en 2020, Carbonapp a pour ambition de devenir leader multisectoriel en matière de sourcing, labellisation et développement de projets de contribution carbone français. Sa plateforme (ou "web app") permet d'identifier, de choisir et de suivre les meilleurs projets de contribution carbone.
Son objectif ? Permettre aux entreprises et aux collectivités territoriales d'atteindre l'exemplarité climatique grâce au dispositif de la contribution carbone, en complément de leurs actions d’évitement et de réduction de l'impact à la source.
Basée à Paris et à Rennes, l'équipe de 13 personnes propose un accompagnement global pour faciliter toutes les étapes de la contribution carbone grâce aux meilleurs standards de contribution carbone, dont le Label bas-carbone comme fer de lance. Un outil français officiel de certification de projet de contribution, porté par le Ministère de la Transition Écologique. |
