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‘Objectif 100 millions’, une ambition forte pour bousculer le carbone.

27 nov. 2024

Temps de lecture : 8 min

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100 millions, cela fait beaucoup de zéros pour marquer les esprits, et engager un combat avec le dérèglement climatique. 'Objectif 100 millions' c’est le nom du mouvement collectif créé pour alléger l'empreinte carbone.

Rencontre avec Mehdi Guellil, Entrepreneur Fondateur du mouvement 'Objectif 100 millions'




Expert en énergie, Mehdi Guellil a démarré sa carrière dans le secteur des hydro-carbures, un univers que Mehdi quitte assez vite. « J’ai pris conscience des excès de nos modes de consommation pétro-sourcés qui génèrent d’immenses dégâts environnementaux » se rappelle l’entrepreneur. Si à l’époque, nous sommes alors en 2007, on le prend pour « un boy scout environnementaliste », Mehdi fait fi des critiques, se passionnant pour les rapports du GIEC qui renforcent ses convictions. Dans cette même période, Mehdi lance une activité de conseil. Il accompagne ses clients, - de « gros émetteurs de gaz à effet de serre » -, sur les sujets de l’efficacité énergétique, les énergies bas carbone, les énergies renouvelables et la décarbonation. Au fil des années, sa société de conseil Kerdos Energy est reconnue pour son expertise sur la question de la transition énergétique.


Un mouvement pour se mettre en action avec les autres

En 2023, « Objectif 100 M de tonnes » est lancée officiellement. Avec ce mouvement collectif, Mehdi veut donner du sens à son parcours en grande partie passé dans des industries très émettrices de GES. Avec ce lancement, Mehdi formalise un engagement viscéral pour la décarbonation, « en sortant de l’approche purement ingénieure, rationnelle et structurée du conseil » après avoir constaté le niveau insuffisant de résultats concrets générés par son activité historique de conseil. Le défi de la décarbonation doit être relevé avec enthousiasme, et amusement, deux critères déterminants pour Mehdi pour passer à l’action et s’engager !

Le défi de la décarbonation doit être relevé avec enthousiasme, et amusement, deux critères déterminants pour s'engager

« On se trompe royalement sur l’analyse de l’efficacité de la décarbonation. Il faut arrêter de croire qu’on est sur la bonne voie. On a tout juste réduit la vitesse d’augmentation des émissions en France, c’est dérisoire. Nous restons complétement dépendants des énergies fossiles » constate Mehdi Guellil. Désabusé, l’entrepreneur refuse de baisser les bras pour autant. Avec la création de ce collectif, il tire le signal d’alarme pour appeler à l’action tout en voulant « rendre la décarbonation plus sexy » alors qu’elle est plutôt anxiogène. Il veut également remettre en question « les fondements de notre mode de consommation complétement excessif ». « Si le sujet est grave et crucial pour notre avenir, la décarbonation doit avant tout être menée avec de l'amusement, avec de l'imaginaire et en gardant une âme d'enfant ! » insiste l’entrepreneur volubile. Derrière la panoplie parfaite de l’ingénieur cartésien, on découvre un optimisme inébranlable, couplé à un enthousiasme spontané d’un homme plus que jamais déterminé à faire bouger les lignes en profondeur.

Au cours de ses missions de conseil, Mehdi est confronté aux contradictions habituelles et irréconciliables de ceux qui font tourner les industries fortement polluantes. Très sensibilisés sur le dérèglement climatique, ces dirigeants ont des vies personnelles irréprochables sur le sujet environnemental, avec des engagements tangibles sur leur alimentation, les modes de transport, ou la sobriété énergétique de leur foyer. « En quelque sorte, avec ‘Objectif 100M de tonnes’ je veux raccorder cette contradiction apparente chez ceux qui dirigent la destinée des industries, entre la sphère professionnelle et la sphère privée, entre la tête et le cœur ». Mehdi veut réconcilier la raison avec les émotions. Un objectif autrement plus ambitieux que la réduction de 100 M de tonnes !


100 millions de tonnes de CO2 cela représente quoi au juste ? 


« 100M de tonnes de CO2 c’est un totem. Cela représente environ un quart des émissions en France (Note : 439 M de tonnes en 2022, si on exclut les émissions importées). C'est complétement irréaliste, mais ça fixe une direction claire, et une ambition. Et puis ça nous engage à nous dépasser tous - entreprises, citoyens ou institutions publiques. Bien sûr, ce chiffre iconique se veut aussi pédagogique. Chacun doit pouvoir se représenter une tonne de CO2 dans la vie quotidienne. Nous offrons un compteur, avec une jauge très visuelle.»

100 M de tonnes ça nous engage à nous dépasser tous - entreprises, citoyens ou institutions publiques.

Mehdi sait aussi relativiser l’ambition. « Au niveau global, 40 gigatonnes sont émises chaque année dans le monde. L’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 est massif. Dans cette perspective-là, 100 millions de tonnes, ça devient négligeable» rappelle-t-il. Tout est d’abord une question de perspective !

Note : Un chiffre moins abstrait qu’il n’y paraît. Ce chiffre de 100 M de Tonnes n’est pas aussi déconnecté de la réalité qu’il le semble. La France émet chaque année 640 M de tonnes de CO2, dont 240 M de tonnes sont importées. L'étude SNBC 3 recommande que la France réduise ses émissions de 134 millions de tonnes équivalent CO2 entre 2022 et 2030. Les ordres de grandeur sont accordés avec la vraie vie.100 M de tonnes correspond aussi à un peu moins de la moitié des émissions importées. Par ailleurs, les émissions de CO2 ont coûté près de 94 Mds d'euros à l'économie française en 2023 révèle l’INSEE. Autrement dit, pour 50 € dépensés, on émet en moyenne 10 kg de CO2 en France.

Sources : BPI France (Données AIE)


Où se trouvent les gisements de décarbonation ?


L'industrie demeure le principal vecteur d’émission carbone de nos émissions en France, devant le bâtiment, résidentiel et tertiaire, et le transport.

« L'électromobilité c’est bien pour réduire les émissions dans le transport, mais ça reste très insuffisant. Il va falloir intégralement revisiter nos chaînes d'approvisionnement logistique » ajoute Mehdi.


L’empreinte carbone et ses composantes de 1990 à 2023 (Source INSEE)


La taxe carbone, un outil efficace à déployer.


La taxe carbone reste un outil déterminant dans la lutte pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre rappelle l’entrepreneur. « Je suis absolument convaincu que tant qu'on n'aura pas un modèle de contrainte carbone qui donne une valeur repère, avec un signal prix fort, on ne pourra pas bousculer en profondeur le modèle de notre économie fondé sur le carbone. Selon moi,100 € la tonne doit être la valeur cible à viser» affirme-t-il. Le carbone doit avoir une valeur, pour les citoyens, les entreprises ou les collectivités. Cela permettrait effectivement d’évaluer le coût du risque climatique de façon tangible pour chacun des acteurs. « J’incite activement les entreprises à mesurer dès maintenant ce risque carbone sur leur activité, en l’inscrivant dans leur vision stratégique. Ceux qui éludent le sujet carbone finiront dans le mur» avertit Mehdi. En Europe, les réglementations vont dans ce sens, avec notamment l’analyse de double matérialité intégrée dans la CSRD. Les Etats-Unis ne semblent pas prêts à suivre le mouvement dans l’immédiat, alors qu’ils représentent 14.5 % des émissions de CO2 - vs 28% pour la Chine et  0.9% pour la France (Source AIE).

Le carbone doit avoir une valeur, pour les citoyens, les entreprises ou les collectivités.

Un modèle à réinventer, aligné avec les limites planétaires


« La lutte contre le CO2 ne constitue qu’un des 9 axes des limites planétaires » rappelle Mehdi. « Or, dans une période de quelques dizaines d’années seulement, notre économie s’est emballée à une vitesse effrénée avec des effets directs majeurs au regard des limites planétaires. In fine, notre économie ne survit qu’au prix faramineux de tous ces désastres de destruction de la Nature. Cette économie destructrice ne peut pas se poursuivre. Quelle sera la prochaine étape ? » s’interroge encore Mehdi convaincu de la puissance et de la pertinence de l’économie régénérative.

« Nous devons inventer une économie au service de Sapiens, au service du vivant. Nous devons réinventer un mode de transaction qui nous permette de revenir dans ces limites planétaires. Ce changement de paradigme est un impératif catégorique. »

Nous devons réinventer un mode de transaction qui nous permette de revenir dans les limites planétaires.

L’ère de la « merveilleuse » molécule CO2 doit s’éteindre.


« Cette période merveilleuse, mais complétement folle, d'une économie à outrance, d'une consommation exacerbée, d'un pétrole bon marché doit se terminer » plaide Mehdi. « Si on prend un peu de recul sur la situation, nous avons agi comme des êtres immatures. Le rattrapage va faire sacrément mal » ajoute l’entrepreneur.

Cette période merveilleuse mais complétement folle d'une consommation exacerbée doit se terminer.

L'histoire des émissions de CO2. Source Global Carbon Atlas


La contribution carbone, une arme décisive pour cette bataille ?


La COP29 à Bakou est finalement parvenue à un accord avec l'instauration d'un marché international du carbone non plus entre acteurs privés, mais entre Etats (Retrouvez le compte-rendu détaillé de Carbon Brief ici). « Si elle n’est pas dévoyée, et si elle est menée de manière cohérente, la compensation carbone constitue une mécanique intéressante qui permet de flécher des volumes d’investissements massifs vers des projets basés sur la Nature. En aucun cas elle ne doit donner un blanc-seing pour continuer à émettre du CO2. C’est la seule limite, » rappelle Mehdi. « Malheureusement cette ligne rouge est souvent dépassée » déplore-t-il aussitôt.

Si elle n’est pas dévoyée, la compensation carbone permet de flécher des volumes d’investissements massifs vers des projets basés sur la Nature.

« Avant tout, nous devons réviser notre modèle de consommation en profondeur, pour décarboner à marche forcée ». La ligne ne bouge pas, la volonté ferme d’inciter au changement demeure fermement ancrée dans l’esprit de l’entrepreneur palois.

Note : La COP29 est finalement parvenue à un accord avec l'instauration d'un marché international du carbone non plus entre acteurs privés, mais entre Etats. Le “Paris Agreement Crediting Mechanism” (PACM) est désormais pleinement opérationnel, au titre de l'article 6 de l'accord de Paris. Il s'agit de financer des projets de capture du CO2 de très grosse envergure via la plantation de forêts, la restauration de zones naturelles ou l'instauration de nouvelles pratiques agricoles.Même si l'accord prévoit un organe de surveillance dédié, véritable clé de voûte de l'édifice, des inquiétudes subsistent, notamment sur les niveaux d'exigences fixés pour la méthodologie de comptage des émissions évitées, et sur la transparence dans le suivi des crédits. La première norme de crédit carbone entre Etats constitue cependant une étape majeure, après les échecs à la COP25 à Madrid et à la COP28 à Dubaï sur ce sujet.

Méfiance face au techno-solutionnisme, un mirage dangereux. « La mise au point d’une technologie d’énergie durable parfaitement vertueuse, qui n’émettrait pas de CO2, ne freinerait pas pour autant la destruction du vivant » avertit Mehdi. En réalité, faire miroiter des solutions miracles, comme la captation du C02 dans l’atmosphère par exemple, ne joue pas en faveur du climat. « La destruction du vivant en cours pourrait tout aussi bien être engagée, voire accélérée, avec des énergies dites ‘vertes’. Une solution parfaitement durable déployée massivement partout dans le monde peut générer des effets délétères ». Il convient d’être prudent avec les fausses bonnes idées qui apparaissent, et qui absorbent parfois des montants faramineux de financements publics et privés. « Notre mode de fonctionnement doit être révisé avant toute chose. Un changement complet de modèle s’impose pour préserver les limites planétaires » insiste Mehdi. Et il le répétera encore, autant qu'il le faudra !

Bien sûr, le CO2 n’est pas l’unique combat à mener. Mehdi a bien conscience qu’il ne faut pas s’enfermer dans un tunnel carbone. « Mais il faut bien démarrer quelque part ! » claironne Mehdi de façon pragmatique. « Le CO2 à le mérite d’être lisible, et compréhensible. La lutte contre le dioxyde de carbone est une première étape avant de placer toute l’économie sous la contrainte des limites planétaires ». Le message (maintes fois répété) a le mérite d’être clair.

La lutte contre le dioxyde de carbone est une première étape avant de placer toute l’économie sous la contrainte des limites planétaires.

Une confiance nécessaire dans notre capacité d’adaptation.


« Les faits sont anxiogènes, mais je ne peux pas accepter l’idée que l’histoire s’arrête de cette manière » médite Mehdi. « Le virage va être difficile, le mouvement commence avec 30 ou 40 ans de retard, mais Sapiens a toujours su réagir dans des situations critiques ». Il faut aussi être philosophe quand on s’engage dans un combat si important et si complexe. « Les années à venir vont être très difficiles » reconnaît l’entrepreneur récidiviste, « mais nous restons maîtres du jeu » affirme Mehdi avec optimisme et enthousiasme. On ne se refait pas !  




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